Le silence

« La parole est d’argent mais le silence est d’or » adage bien connu qui peut prendre tout son sens en psychothérapie.

Récemment, au cours d’un entretien, un patient s’est confié sur un événement traumatique.
Il posait chaque mot avec précision, les choisissant avec la plus grande des concentrations. Son regard s’amplifiait au fur et à mesure que son récit avançait, ses gestes étaient millimétrés, illustrant cette scène gravée à jamais dans son esprit. Parfois, il s’arrêtait, prenant une longue inspiration, puis il enchaînait sur des détails, une sensation, un ressenti. Les larmes lui montaient aux yeux, alors, il s’interrompit.

Le silence. Un silence non pas gêné ou gênant, mais un silence apaisant, salvateur, perturbé uniquement par le bruit des oiseaux, des travaux et des ouvriers qui riaient en fumant de vielles gauloises. Un échange de regard, des yeux bleus profonds, humides, emplis de tristesse et d’espoir.

Le silence, j’en avais peur au début de mon stage. En supervision, une psychologue m’avait alors dit : « il ne faut pas combler tous les silences par des questions, laisse le patient exprimer entièrement sa pensée ». Mais quand savoir quand un patient a fini d’exposer ses idées ? L’expérience ?

Pour Lydia Fernandez, professeure de psychologie à Lyon « Certains silences ont un effet bénéfique : temps d’auto-exploration pour enrichir ou formuler ses idées, retour sur soi sur ses émotions, temps de récupération » Le silence est-il une pause, une éclaircie parmi les intempéries émotionnelles ?

Shae explique qu’il faut resituer les silences culturellement : « Le silence, mal jugé en Amérique du Nord, est considéré très différemment dans d’autres cultures. Les Anglais et les Arabes le réservent à la sphère intime tandis que les Russes, les Français et les Espagnols l’interprètent comme une marque de consentement mutuel. En Asie, le silence est un signe traditionnel de respect pour les aînés. »

En musique, le silence occupe une place centrale, il est paradoxalement difficile d’imaginer une musique sans silence, c’est ce qui permet la musicalité. On peut penser au silence entre les mouvements, précédant l’apothéose d’une symphonie et à l’instant où les musiciens accordent leurs instruments.

Comme sur une partition, une psychothérapie a ses moments de silence, de stupeur, condition d’une réflexion concise, d’une avancée, d’un dénouement final.

Faire silence ce n’est pas seulement se taire, il s’agit d’écouter. C’est devenir témoin de la parole qui se déploie et se libère. Il faut placer le patient dans un climat de confiance, un silence propice à la parole, cette « neutralité bienveillante » si cher à nos confrères psychanalystes.

En psychanalyse, d’ailleurs, le silence est utilisé pour accompagner le transfert, le patient face au mutisme de son analyste va chercher à l’en faire sortir, développant ainsi son propos pour obtenir une réaction.

Si « the Sound of silence » de Simon & Garfunkel traduit l’absence de communication, correctement utilisé le silence peut en réalité devenir un levier thérapeutique.

Mon patient repris enfin son récit, son discours était fluide, sa pensée limpide, son esprit comme libéré, il parlait doucement, murmurant presque. Il avait retrouvé sa concentration, suivait son fil d’Ariane, un fil conducteur clair. Puis lorsqu’il eut fini, il me sourit « Merci de m’avoir laisser terminer docteur »

Et si le silence permettait ça, la création d’un lieu, d’un espace, une sorte de prérequis nécessaire à une parole libérée de nos patients.

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