L’adieu
Nourrisson, j’avais grandi avec mon cousin, nous n’avions que quelques mois d’écart. Ma grand-mère, ancienne sage-femme, dans sa verve méditerranéenne, nous le rappelait souvent « vous avez quasiment partagé les mêmes couches ». Enfant, nous parcourions le jardin, enterrant des trésors, construisant des pièges, vivant d’innombrables aventures. Et puis la vie vous rattrape toujours, l’éloignement, les épreuves aussi, et nous prîmes des chemins d’apparences différents mais pour finir plus semblables que nous le pensions.
L’âme
« Bienvenue dans l’unité de psychiatrie et addictologie ambulatoire » déclare le chef de clinique en nous accueillant. Quatre vieux semestres, quatre « bourlingueurs » de la psychiatrie, quatre bureaux, autant de lignes de consultations et de groupes thérapeutiques à animer pour les six prochains mois. La fine équipe se met en branle, certains s’agitent, d’autres se coordonnent et la machine s’élance, les rendez-vous s’enchainent.
L’urgence
En lisant la dernière enquête du monde « Comportements suicidaires : une jeunesse toujours plus en souffrance », j’ai consulté à nouveau ma pile de petits carnets noirs. Quasiment trois années et demie d’internat amassées sous forme de petites phrases, de réflexions, d’indices provenant de ma pensée. Si un seul de mes semestres fut totalement consacré à la pratique des urgences psychiatriques, nombreux sont ceux où une partie de mon activité consistait à naviguer dans les urgences pour y donner quelques avis.
L’innocence
J’avais effleuré l’univers de la pédopsychiatrie, en 6ème année de médecine, lors d’un stage à la fois passionnant et troublant mais surtout trop court à mon gout. Comment rester impassible face à la souffrance de ces jeunes âmes ? Comment ne pas s’indigner vis-à-vis de l’injustice ? S’interroger sur ces trajectoires tragiques ? Se questionner devant cette enfance avortée ?
La peur
Ces faux-préjugés portent un nom : la psychophobie. Elle se définit comme une forme de discrimination à l’encontre de personnes qui ont ou ont eu un trouble psychique. Comme le rappelle le Professeur Gaillard dans une interview donnée à France-Inter, les patients en psychiatrie ont une double peine « souffrir et être montré du doigt ».
La thèse
C’est le grand jour, l’instant où tout semble se jouer alors que la partie n’est pas vraiment terminée : je passe ma thèse. Vingt personnes, le portrait d’Hippocrate, deux années de travail, réunis dans une pièce. Je bois une gorgée avant d’enchainer, les diapos s’entrelacent et les muscles se relâchent, les mots sortent, plus fluides et distincts : la machine est lancée. Me voici en pilote automatique et lorsque les questions fusent, je puise les réponses dans mon cortex cérébral, stimulant ma mémoire de travail.
L’isolement
Reprendre ses notes c’est trier ses pensées, démêler son esprit pour en extraire un fil conducteur, articuler ses réflexions. Relire le petit carnet noir, c’est découvrir un univers focalisé, ses derniers mois, sur la solitude, où les thèmes de l’isolement et de la rechute semblent s’y dégager. Aborder l’expérience de l’isolement au moment du « dé-confinement » me parait logique, car si la vie repart, il ne faut pas oublier.
La faim
Six mois qu’elles se succèdent dans mon bureau, six mois que mon carnet de moleskine se rempli d’histoires, six mois de trajectoires déchirantes comme leurs peaux se fissurant au contact anguleux de leurs os saillants. Le contact débute toujours par une longue lettre souvent manuscrite, parfois dactylographié : un bref aperçu de leurs vies, une marque – s’il en est – de leurs motivations à la prise en charge.
L’estafette
Voilà donc deux mois que j’occupe le rôle si particulier d’interne en « psychiatrie de liaison ». C’est en 1939 que ce terme apparait pour la première fois sous la plume d’E.-G Billings, détaillant son activité au sein d’une des cinq unités psychiatriques d’un hôpital général des états unis. Depuis le début du XXe siècle, la psychiatrie s’ouvre à d’autre champ d’action que ceux de « l’aliénation » et s’installe notamment au sein des hôpitaux généraux.