L’estafette

Voici plusieurs semaines que je n’ai pas pris de temps pour m’assoir, face à ma fenêtre, chat sur les genoux et moleskine noir en main, pour relire mes notes. Celles-ci s’accumulent, pages après pages, souvent griffonnées à la va-vite, pour déposer une intuition entre deux patients, parfois élaborées et réfléchies lorsqu’une accalmie le permet.

L’épidémie de coronavirus, mon déploiement au sein d’une unité covid-psychiatrique, puis ce nouveau stage, ont bousculé ma routine littéraire. Ce petit carnet noir parait alors moins clair presque confus, il faut déchiffrer et comprendre les bribes de pensée que j’ai pu y consigner.

Voilà donc deux mois que j’occupe le rôle si particulier d’interne en « psychiatrie de liaison ». C’est en 1939 que ce terme apparait pour la première fois sous la plume d’E.-G Billings, détaillant son activité au sein d’une des cinq unités psychiatriques d’un hôpital général des états unis. Depuis le début du XXe siècle, la psychiatrie s’ouvre à d’autre champ d’action que ceux de « l’aliénation » et s’installe notamment au sein des hôpitaux généraux.

« L’essor actuel de la psychiatrie de liaison reflète celui de la transdisciplinarité qui s’affirme de plus en plus dans la prise en charge des patients atteints d’une affection somatique. »

Daniel Sibertin-Blanc

La tradition de la dichotomie « corps et esprit » s’estompe progressivement, laissant donc place à un être unique, indivisible où son histoire et son environnement trouvent leurs places. Le modèle « bio-psycho-sociale » nait, laissant aux équipes soignantes la possibilité d’une approche intégrative.

Le téléphone sonne « Oui, bonjour, je suis bien avec le psychiatre de liaison ? » : blouse sur les épaules, carnet en poche, je traverse les couloirs de l’hôpital. De la chirurgie digestive à la dermatologie le vagabond moderne que je suis, bourlingue au sein des différentes unités médicale. J’occupe alors une position d’exception : car si ma fonction première est de conseiller l’équipe médicale dans sa prise en charge de la maladie mentale, je me retrouve souvent à l’accompagner face à ses souffrances du quotidien.

Comprendre l’institution, la dynamique de groupe, nécessite une approche systémique, le patient interagissant avec l’équipe soignante peut par des mécanismes complexes de « transfert » révéler des conflits psychologiques enfouies. Ainsi Freud, en 1921 dans psychologie des foules introduisait l’idée que « la psychologie individuelle est aussi, d’emblée et simultanément une psychologie sociale, en ce sens élargi mais parfaitement justifié ».

La psychiatrie de Liaison se caractérise également par sa richesse sémiologique, par l’influence du contact permanent avec la médecine somatique, par son pragmatisme et l’intérêt authentique qu’elle accorde systématiquement à la dimension biologique et physique. Depuis deux mois les rencontres et les situations s’enchainent, chaque « vignette » est unique et apporte ses lots de questions et de réflexions éthiques. Échanger avec les autres spécialités apporte un regard neuf, et transforme souvent la vision que nos confrères ont de la psychiatrie.

Être psychiatre de liaison c’est donc non seulement s’assurer de la bonne prise en charge des malades psychiatriques mais aussi – et peut-être surtout – guérir l’institutions et les aprioris sur notre pratique.

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