Le rire

Yasmine chute, du sang s’écoule doucement des plaies couvrant ses genoux, Yasmine rit, un rire profond, sardonique et froid. Elle essaie de couvrir sa bouche comme pour étouffer ce spasme étranger. Impossible, elle continue de s’esclaffer, les larmes entaillant désormais ses rouges joues tiraillées par ses muscles faciaux en mouvement. Peu à peu de petits picotement apparaissent, aux bouts des doigts et sous les pieds, remontant lentement vers son tronc. Son verre lui échappe des mains, elle ressent une faiblesse, sa tête bascule en arrière tout comme ses yeux. Ses amis composent le 18. L’ambulance arrive et l’emmène avec elle.

La soirée avait pourtant bien commencé, Yasmine souriait, tournoyant au milieu de ses camarades, quelques verres d’alcools, quelques ballons et le trou noir.

Le Protoxyde d’azote ?

En 1772, le chimiste Joseph Priestle découvre le N2O ou protoxyde d’azote, un gaz inodore appartenant aux oxydes d’azote. 25 ans plus tard, Humphrey Davy décrit les sensations « hilarantes » qu’il ressent à son inhalation dans une « vessie » en caoutchouc [1].

Dès la première inspiration, j’ai vidé la vessie. Une saveur sucrée a, dans l’instant, rempli ma bouche et ma poitrine tout entière, qui se dilatait de bien-être. J’ai vidé mes poumons et les ai remplis encore ; mais, à la troisième reprise, les oreilles m’ont tinté, et j’ai abandonné la vessie. Alors, sans perdre précisément connaissance, je suis demeuré un instant promenant les yeux dans une espèce d’étourdissement sourd ; puis je me suis pris, sans y penser, d’éclats de rire tels que je n’en ai jamais fait de ma vie. [2]

Pendant les années folles, le « gaz hilarant » apparaît progressivement dans les soirées mondaines, une attraction qui semble « inoffensive » en comparaison à l’inhalation d’éther et d’absinthe alors particulièrement populaire.  

Si ses propriétés anesthésiques étaient déjà connues c’est véritablement en 1960 que son usage médical se repend. On y associe de l’oxygène, ce qui élimine le risque d’asphyxie. Le MEOPA (mélange équimolaire d’oxygène et de protoxyde d’azote) est né et obtient son autorisation de mise sur le marché (AMM) en 2001 dans les établissements hospitaliers [3].

Dans le même temps, le N2O fait son entrée dans les soirées carabines : quels étudiant en médecine n’a jamais gouté un peu de « proto » ?  Jugée trop peu discrète la grosse bonbonne de MEOPA est cependant rapidement remplacée par de petites cartouches métalliques percuté dans un ballon de baudruche.

Depuis 5 ans, son utilisation ne se limite plus aux salles de garde, et sa popularité ne cesse d’augmenter parmi les plus jeunes comme le souligne l’OFDT via son dispositif TREND (Tendances récentes et nouvelles drogues). Les parcs, les trottoirs des lycées se couvrant de petites capsules métalliques et de ballons usés.

Quels effets sur le corps et l’esprit ?

En plus de ses effets sur le cerveau : psychostimulation passagère, rire puis sédation ; via son action sur le métabolisme de la vitamine B12 le « gaz hilarant » attaque le système nerveux central et périphérique, notamment au niveau de la gaine de myéline : zone responsable de la conduction nerveuse. Cette destruction entraîne une interruption de la transmission nerveuse. S’observe alors une faiblesse musculaire dans les jambes, une atteinte de la sensibilité profonde, des paresthésies, une perte de tonus musculaire… Un ensemble de symptômes neurologique grave et handicapant plus ou moins réversible [4].

Le N2O, le grand mal ?

Si ses propriétés anesthésiques continuent à être utilisé, c’est son action sur les récepteurs NMDA qui intéresse actuellement les neuroscientifiques. Comme la kétamine,  le N2O semble améliorer rapidement l’humeur et si le mécanisme semble peu clair, les études apparaissent prometteuses [5].

« Bonjour, je suis l’interne d’addictologie de liaison ». Assise dans un fauteuil roulant, elle m’observe avec ses grands yeux verts « Moi, je ne touche à rien, jamais de shit, jamais de cocaïne, parfois quelques verres en soirée, vraiment je pensais que les ballons ça ne faisait rien et là je ne sens plus mes jambes ». Alors on discute, on échange, on panse les plaies de l’esprit. Je griffonne quelques mots dans le carnet noir : des pensées et des phrases. Yasmine part pour la rééducation, elle ne dansera plus pour ses amis.

Bibliographie

  • [1]        Gillman MA. Mini-Review: A Brief History of Nitrous Oxide (N2O) Use in Neuropsychiatry. CDRR 2019;11:12–20. https://doi.org/10.2174/1874473711666181008163107.
  • [2]        Préterre A (1821-1893) A du texte. Extraction des dents et opérations dentaires sans souffrance par le protoxyde d’azote… par M. A. Préterre,… 3e édition. 1868.
  • [3]        Un gaz pas très marrant | Mediachimie n.d. https://www.mediachimie.org/actualite/un-gaz-pas-tr%C3%A8s-marrant (accessed August 1, 2021).
  • [4]        Keddie S, Adams A, Kelso ARC, Turner B, Schmierer K, Gnanapavan S, et al. No laughing matter: subacute degeneration of the spinal cord due to nitrous oxide inhalation. J Neurol 1007;265:1089–95. https://doi.org/10.1007/s00415-018-8801-3.
  • [5]        Wilson C. Laughing gas has shown potential as a treatment for depression. New Scientist n.d. https://www.newscientist.com/article/2280399-laughing-gas-has-shown-potential-as-a-treatment-for-depression/ (accessed August 3, 2021).

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