L’opium

La faible flamme de la bougie éclaire le petit salon. Assis sur la méridienne Stanislas s’affaire, garrot entre les dents, il manipule aiguilles et solutions transparentes. La seringue hypodermique pénètre le creux de son bras perçant doucement les vaisseaux. L’opium monte en quelques seconde à son cerveau, embrumant son esprit. Se saisissant alors de son petit carnet noir, il griffonne quelques vers. Le toxique l’inspire.

« Finalement l’homme s’endort
Pour cuver l’extatique ivresse
Qui l’enveloppe de paresse
Et l’éblouit de songes d’or »

La lumière artificielle du lampadaire éclaire le petit square municipal. Assis sur son banc Stan s’agite, garrot entre les dents, tremblant il prépare sa steribox. La seringue hypodermique pénètre le creux de son bras perçant doucement les vaisseaux. L’héroïne monte en quelques seconde à son cerveau, embrumant son esprit. Sa tête tombe en arrière. Soudain, il entend des cris, au loin les hommes en bleu, bâtons noirs levés hurlent « Dehors les toxicos ».

Depuis toujours l’homme cherche à modifier ses états de conscience. Breuvages divins, boissons chamaniques, poisons sociétaux : les psychotropes évoluent singulièrement selon les lieux et les époques.

Introduit comme une panacée les produits psychotropes semblent soigner tous les maux, Catherine de Medici utilise ainsi le tabac pour guérir ses migraines [1]. La morphine et l’héroïne soulagent la douleur, la cocaïne anesthésie. Chaque substance semble avoir son utilité médicale. Mais rapidement les drogues séduisent, elles sont décrites dans la littérature comme des substances exotiques, raffinées, romantiques. Détournées, elles revêtent une image hédonique [2]. Les stupéfiants deviennent alors les premiers biens à circuler :  le vin italien, le tabac d’Amérique, l’opium d’Inde.

« L’opium agrandit ce qui n’a pas de bornes,
Allonge l’illimité,
Approfondit le temps, creuse la volupté,
Et de plaisirs noirs et mornes
Remplit l’âme au-delà de sa capacité »

Cependant, avec les avancées scientifiques du XIXe, la découverte des phénomènes de dépendance et d’accoutumance, de nouvelles maladies mentales font leur apparition, le suffixe -manie traduisant l’excès des plaisirs : cocaïnomanie, morphinomanie… La société prend peur et légifère. Le malade devient délinquant : l’image du toxicomane est née. Marginalisé, il est vu comme un voleur, un criminel qu’il convient de réprimander.

En 1997, la célèbre revue Science titrait « Addiction is a brain disease, and it matters« , c’est-à-dire “l’addiction est une maladie du cerveau et ça compte”, éloignant par la même occasion les questions de moralité et de volonté : l’addiction est une maladie et non la triste altération de la volonté. L’addictologie prend son envol et replace le patient au centre des soins.

Les avancées scientifiques et technologiques du XXIe siècle dans les domaines de la neuropsychologie, des neurosciences et de l’imagerie cérébrale fonctionnelle mettent en évidence des modifications dans les mécanismes de régulation des comportements de consommation chez les usagers de drogues. Ces petites anomalies neurobiologiques se situent au niveau du circuit de la récompense, un système de notre cerveau qui contrôle notre désir et notre plaisir.

Tout plaisir n’entraîne pas dépendance. Ressentir du plaisir est essentiel à notre bien-être : c’est lorsque la machine s’emballe que naît la dépendance. Ce système, situé dans notre cerveau, relie entre elles les zones responsables des émotions, des pensées, et de la mémoire. Ces zones jouent un rôle particulièrement important dans l’apprentissage, la motivation et la satisfaction. C’est cette petite particularité qui a permis à l’humanité de si vite évoluer.

Toutes les drogues ont la capacité d’agir sur ce circuit et de stimuler avec plus ou moins d’intensité certaines zones, modifiant entre autres la libération de certains neuromédiateurs, petits messagers qui contrôlent les connexions de notre cerveau. Ces altérations peuvent parfois être perçues comme agréables : le circuit de la récompense associe alors la prise de substance à ces effets plaisants, et en redemande encore et encore .

Notre compréhension des addictions s’améliore. Désormais, le temps est à la « destigmatisation ». Le terme « usager » vient remplacer celui de « toxicomanie », celui de « halte soin addiction » remplace « salle de shoot ». Espérons rentrer dans une nouvelle époque, celle des soins et de la fin de la répréhension.

Bibliographie :

[1]  Lemaire J-F. L’usage du tabac dans l’histoire. Que sais-je? 1997;5e éd.:19–28.

[2]  Guilbert C. Écrits stupéfiants: drogues & littérature, d’Homère à Will Self. Paris: Robert Laffont; 2019.

Pour aller plus loin :

https://www.franceculture.fr/emissions/la-fabrique-de-l-histoire/histoire-des-drogues-34-la-figure-du-toxicomane-et-l-histoire

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