Le truand

Des étincelles, des flammes et du charbon, les Peaky Blinders s’avancent dans les rues de Birmingham. Tenues impeccables, manteaux virevoltants dans la poussière et casquette en Tweed. La plume aiguisée de Steven Knight nous fait ainsi redécouvrir l’Angleterre d’après-guerre, la grande Bretagne des années 20. Nous suivons l’épopée familiale des Shelby, gens du voyages sédentarisés, méprisés par les uns, terrorisant les autres, qui s’élèvent progressivement dans la société usant de ruses et de truanderies. Entre rencontres improbables avec le jeune Winston Churchill et déboires avec l’IRA le spectateur se plonge dans un univers industriel façonné par intrigues et conspirations.

Si le fameux carnet de moleskine noir me sert habituellement à noter mes expériences et aventures personnelles, récemment, il fut le lieu d’une analyse, d’une réflexion sur le fabuleux personnage de Thomas Shelby. Meneur de danse, maestro et patriarche incontesté de cette famille. Il dirige d’une main de maître ses affaires : courses et paris hippiques, distilleries clandestines, trafics d’armes, rien ne lui échappe. Pourtant il lui arrive – tout comme son frère, Arthur – de perdre le contrôle. Pourquoi ?

Que cache-t-il derrière ses regards sombres et silencieux ?

« J’avais perdu tout, sauf vivre. Plus de direction. Plus guère de corps. Plus d’identité : exit »

André Malraux, Lazare.

Dans l’évangile, Lazare revient à la vie, mais autour de lui tout semble avoir changé, le monde lui parait hostile, les autres ne le comprennent pas. En réalité, c’est lui qui a changé – ainsi débute l’essai du Professeur Clervoy, psychiatre militaire, sur les traumatismes psychiques. Le traumatisme, du grec « trau » : percé, est la blessure mais surtout la cicatrice. Une cicatrice profonde, laissée par quatre ans de guerres, quatre années aux odeurs de poudre, boue, mêlées de sang.

Quelle-fut cette expérience traumatique, cette scène initiale ? La bataille de la Somme ? Son rôle de sapeur, enfermé dans un tunnel sombre, humide à creuser jour et nuit, à surveiller les bruits des forces ennemies ? La mort de son épouse, de son frère ?

Ainsi, pathognomonique de l’état de stress post traumatique, Thomas Shelby souffre de reviviscences, itératives, involontaires et intrusives. Les cauchemars, et ces bruits de bèche dans les tranchées, l’odeur de la poudre, les coups de feu lui rappelant l’enfer de la France, qu’il tente d’atténuer par des prises d’opium et de whisky.  Cette « solution chimique » souvent efficace dans un premier temps permet de mettre à distance, de refouler les symptômes anxieux, mais est rapidement débordé par des effets indésirables comme la perte de contrôle, l’effet apaisant initial se dissipe, la tolérance s’installe entrainant une augmentation des consommations.

L’hypervigilance et les troubles du sommeil sont également retrouvés dans ce tableau clinique, une incapacité à trouver le sommeil et par moment des hallucinations hypnagogiques lors de la baisse de la vigilance, avec les fameuses apparitions de Grace dans la dernière saison.

Dans le même registre, on note une réactivité neurovégétative accrue, les indices rappelant la situation traumatique, l’environnement initial, déclenchent des réactions en chaine : augmentation de la fréquence cardiaque, du rythme respiratoire, pâleur cutanée…

Enfin, une dimension dépressive, une dysphorie semble présente avec un émoussement affectif, cette incapacité à éprouver tendresse et affection pour son entourage, un retrait dans les relations interpersonnelles, une morosité par moment.  

Dès l’Antiquité, on note des descriptions d’état de stress post-traumatique, la cécité brutale et réactionnelle d’Epizelos, combattant athénien à la bataille de Marathon après qu’un adversaire ait égorgé sous ses yeux son compagnon d’arme ; les archives de Charreton et la Pitié-Salpêtrière excavées par Laure Murat (l’Homme qui se prenait pour Napoléon, 2011) où l’on retrouve des traces de la « folie de la révolution » suite aux massacres de la Terreur. Mais, c’est véritablement Oppenheim, psychiatre allemand du XIXe qui introduira le premier, le terme de « névrose traumatique », analysant les symptômes et l’état psychique des cheminots après les accidents de train, rapportant les reviviscences et les obsessions dont ils sont victimes. En France, Janet montrera l’intérêt de l’hypnose et son effet cathartique dans le traitement de « l’hystérie traumatique ». La psychanalyse s’intéressera elle aussi au traumatisme et Freud adoptera lui, le terme de « réminiscence ». L’horreur des camps de concentration, ce syndrome transgénérationnel du survivant caractérisé par la culpabilité, la dépression et l’anxiété marquera plusieurs générations et verra l’apparition de nouvelle psychothérapies (Victor Frankl, découvrir un sens à sa vie avec la logothérapie, 1988). Cependant, Il faudra attendre plusieurs guerres pour qu’en 1980 apparaisse dans le DSM-III la dénomination d’ESTP et que de véritables recherches soient lancées pour son traitement.  

Pour finir, m’inspirant de Patrick Lemoine, voici une fiche résumée de cette « analyse Psy » de Thomas Shelby :

Mon diagnostic :

  • État de stress post traumatique compliqué d’un trouble de l’usage de l’alcool  

Mon traitement :

  • De l’Hydroxyzine en cas d’attaque de panique (crise d’angoisse)
  • Du Propranolol, un bétabloquant, dont les études sont prometteuses
  • Et surtout une thérapie par EMDR, qui est une technique de soins qui permet de retraiter des vécus traumatiques pour en enlever le caractère émotionnellement invalidant
  • Une prise en charge addictologique avec groupe de parole, réduction des risques et sevrage  

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