Le haut-parleur grésille « Port-Royal », la rame commence à ralentir et alors que les portes s’ouvrent, les voyageurs sortent déjà de leurs sacs, leurs plus belles parures blanches. Dehors, des groupes s’organisent, des pancartes et banderoles aux slogans percutant se dressent. Du fond du boulevard une clameur nait, s’élève, prend forme « Sauvons l’hôpital publique ».
L’interne s’avance, c’est sa première manifestation. Il retrouve ses collègues sous la bannière des jeunes médecins, il portera ainsi fièrement son morceau de carton, videra ses poumons, sifflera et criera pour ceux qui ne le peuvent pas : pour les malades d’abord, pour ses amis réquisitionnés, pour le service public.
Si la majorité se sont donnée rendez-vous sur la capitale, partout en France des soignants se dressent, se donnent la main pour former – comme à Rouen – de longues chaines humaines, montrant ainsi leurs unions face aux désespoirs.
« On a tous une histoire à raconter » lance un infirmier à un micro qui lui est tendu. La marée blanche a attiré une foule de caméras, de perches et de scribes en tout genre. Eux aussi ont un rôle à jouer, celui de transmettre, de décrire, de comprendre la colère sourde des hôpitaux.
L’interne repense à son service, aux trop faibles moyens, à son unité qui a fermée en urgence par manque d’effectif. Une sensation nait dans son estomac, remonte lentement avant de le saisir à la gorge, sa respiration s’accélère. C’est la culpabilité, cette émotion désagréable qui le submerge de plus en plus souvent, cette insatisfaction, ce sentiment d’inutilité lié aux prises en charge qui s’allongent, trainent en longueur et affectent directement les malades.
La clameur se fait de plus en plus grande, le cortège s’ébranle, s’ébouriffe, s’enflamme aux sons de la fanfare, ils sont fin-prêts à partir. Épaules contre épaules, ils progressent, protestent et réveillent ce Paris habitué depuis toujours aux chants révolutionnaires.
Un linceul recouvre la capitale, « tous en blouse » grondent certains. En Inde, le blanc est la couleur du deuil, et la métaphore en est plus forte, c’est tout un système qui pleure l’effondrement de l’hôpital. Rémi Salomon, chef de Service à Necker disait ainsi « l’hôpital c’est le dernier rempart de la république »
Certains passant applaudissent, un homme traversant le cortège, bicyclette à la main lancera un « courage » aux deux jeunes aides-soignantes qui agitent des drapeaux colorés.
Romain, jeune interne de cardiologie, rejoint, lui, tardivement la marche « je n’ai pas dormi cette nuit, j’étais de garde, mais il fallait que je sois là » glisse t ’il à son ami avant de lui emboiter le pas emmitouflé dans une énorme écharpe en maille.
10 000
Professeurs, praticiens, cliniciens, internes, externes, infirmiers, aides-soignants, brancardiers, sages-femmes ; l’hôpital s’est donné rendez-vous aux Invalides. De la fumées rouge épaisse s’élève, tournoie puis s’évapore dans l’air froid du mois de novembre. Les sirènes des pompiers côtoient les sifflets et autres pétards, l’air vibre autours d’eux, ils ne forment alors plus qu’une seule voix, celle de la raison, une oraison funèbre louant le service public.
Quelle sera la véritable réponse du gouvernement ? Pensent-ils vraiment que des primes suffiront à guérir les cœurs qui saignent ?
Rendez-vous pour la prochaine Marche.