Le partage

Fin d’un stage, début d’un nouveau. L’interne doit être adaptable, tous les six mois il change d’équipe, d’unité, de pratiques. En plus des soins qu’il prodigue aux patients, il garde son statut d’étudiant. Il passe de la théorie à la pratique, il est là aussi pour comprendre, découvrir et apprendre.

Six années d’études, de travail, de révisions constituent de solides fondations. Une base sur laquelle l’interne va ériger son projet, composer et assembler ses connaissances.

S’il s’imprègne de clinique au contact des malades, c’est vers ses pairs qu’il se tourne pour appuyer ses hypothèses, valider ses décisions, soulager sa conscience.
En médecine, de tout temps, le compagnonnage a eu une place particulièrement importante. Prenant sous son aile protectrice l’apprenti, le senior va l’aider à avancer dans son parcours.

Dans Récit d’un jeune médecin, Mikhaïl Boulgakov, l’illustre plusieurs fois. A travers un accouchement compliqué aux cœurs de la toundra, ou lorsque l’un de ses confrères lui enseigne son futur métier : « Le docteur lachvine, d’ordinaire plutôt silencieux et à l’évidence assez secret, se transformait parfois en un merveilleux conteur ». Ainsi le conte devient une magnifique façon de transmettre.

A la lumière d’une ampoule en fin de vie, au fond d’une salle de garde aux murs couverts d’allusions érotiques, quel interne ne se souvient pas « d’une histoire de chasse » de son chef ? A jamais ancré dans sa mémoire, il n’oubliera plus de doser tel ou tel paramètres biologiques devant tel ou tel tableau clinique.

« Monsieur l’externe que voyez-vous sur cette radiographie pulmonaire » m’a dit un jour un PU-PH de pneumologie, tel Socrate pratiquant la maïeutique, il me poussait dans mes retranchements.
C’est selon cette même théorie de la réminiscence que trois ans plus tard, refaisant surface dans mon esprit, cette image m’aidera à diagnostiquer une pneumopathie chez une de mes patientes.

« Jamais sans » disait l’un de mes chefs. Impossible d’accomplir son devoir de médecin sans clinique, impossible de progresser sans enseignements, impossible de s’épanouir sans ouverture d’esprit. C’est cette même curiosité décrite dans le roman de Marie Didier « dans la nuit de Bicêtre » qui poussera Pussin à tenter de nouvelles approches pour soigner les « aliénés » de son hôpital.

Cet intérêt pour la nouveauté, cette avidité permet à l’interne de progresser. Depuis toujours, cette même attention particulière entraîne de grandes découvertes. Le 8 novembre 1985, le physicien allemand Wilhelm Conrad von Röntgen découvrira ainsi la radiologie, travaillant dans son labo sur les rayons cathodiques, il observe l’action du tube sur un écran en carton enduit d’une substance phosphorescente, quand il voit apparaître ses os sur l’écran !

L’empirisme se développe peu à peu, se mêle aux connaissances pour guider le jeune médecin dans ses choix. Cependant, il s’appuie assez souvent sur l’expérience de son équipe, entre deux portes, un regard, une phrase glissée à l’infirmière de quart suffit à le rassurer.

« Comment font les chefs d’habitude ? » devient une sorte de conjuration, une pensée magique qui vient apaiser les angoisses et l’anxiété recrudescente de l’interne.

Le patient, son vécu, son histoire est riche d’enseignement pour qui sait écouter et tendre l’oreille. Dans un monde où tout s’accélère, prendre le temps de comprendre peut changer le cours d’une vie. La clinique se joue dans les détails. Affiner son interrogatoire, replacer le patient au centre, l’inscrit dans les soins et le rend acteur de sa prise en charge.

Le dernier jour, le Professeur qui nous encadrait dit en parlant du savoir du clinicien qu’il s’agissait « d’un héritage que l’on peut s’approprier qu’en acceptant de le transmettre ».  Ainsi, un matin, un jeune visage apparaîtra, un externe. Lui aussi devra un jour prescrire et sera garant des soins. En attendant, il faudra transmettre, affiner ses diagnostics et accompagner ses gestes.

Le partage est au cœur de notre métier, l’apprentissage est constant, l’Homme, la santé évoluant en permanence. L’interne doit savoir remettre en cause ses connaissances, déconstruire, prendre du recul pour avancer et apporter aux malades le meilleur de lui-même.

Un enseignement qui n’enseigne pas à se poser des questions est mauvais.” 

Paul Valéry
 

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