Le calme et la tempête

Récemment, j’ai été confronté à une agitation psychomotrice aiguë, un terme médical pour décrire un état d’agitation et de détresse psychique intense chez un malade. Tôt ou tard, tout praticien rencontre un patient agité, en souffrance morale ou confus. Ainsi, à travers cet article, j’essaye de poser des mots, de construire des phrases sur la base des émotions ressenties ce jour-là.

Un homme perdu, un vagabond, voici ce qui me reste en mémoire quand je repense à ce jeune patient.
Accompagné par sa famille, il était arrivé dans notre service par les urgences. Son entourage avait, en effet, perçu chez lui un changement de comportement depuis plusieurs jours : des détails, des phrases anodines, des signes qui avaient alerté tout particulièrement sa mère.

Calme, le regard interrogateur, il soutenait vouloir comprendre ce qui lui arrivait, rien ne laisser présager sur son visage, dans ses mouvements ce qui allait arriver.

– « J’ai compris », c’est ainsi qu’il débuta l’entretien.

Invoquant une force inconnue, il devait rentrer chez lui, poursuivre ce destin qui lui était apparu. Le débit verbal s’accélérait, les mots, les phrases et leurs contenu se mélangeaient.

Le délire

Ses pensées s’échappaient, elles ne retrouvaient pas leur origine, la logique n’avait plus sa place dans son discours. Le fil d’Ariane était coupé, il était piégé dans le labyrinthe de son esprit.

– « Nous sommes inquiets nous avons peur pour vous » rétorqua ma séniore.
– « peur » répétât-il en écho, « ne croyez-vous pas que c’est moi qui ai peur »

Cette dernière phrase résonna en moi, elle inversait les rôles, elle me renvoyait l’image que je me faisais du soignant. Ne sommes-nous pas censés dégager bienveillance et confiance ? La question de la légitimé se posait à nouveau.

Devant nos yeux, l’esprit de ce jeune patient se morcelait, sa pensée, ses souvenirs se dissociaient. Il cherchait à comprendre l’incompréhensible, à se raccrocher à quelques chose de logique. De ce flou psychique, de cette pelote de réflexions surgit alors cette fameuse idée unique : il avait compris.

Soudain, dans un geste rapide il se leva, un doigt inquisiteur pointé vers nous, exigeant la fin de l’entretien. Ses muscles tendus, son corps rigide, ses yeux emplis de la peur dont il nous avait parlé.

Ses mouvements désordonnés n’avaient aucun but précis, il tournait dans la pièce. Il souffrait. Une douleur autant physique que morale l’habitait, le traversait, remplaçait chacune de ses émotions.

Il fallait agir, il fallait l’aider et l’accompagner. Le médecin donna des instructions à l’infirmière. On lui apporta un verre d’eau et des traitements.

La sédation

Fini l’époque du droperidol et des cocktails lytiques qui plongeaient les patients dans les méandres du sommeil, entrainant troubles de la vigilance et amnésies lacunaires.

De nos jours, cette sédation psychique et comportementale a pour objectif de soulager les angoisses, de rassembler les pensées, de rendre tolérable l’environnement, de permettre l’apaisement et l’adhésion aux soin.

Il s’apaisa, il s’assit et retrouva un instant le fil sa pensée. Nous étions rassurés, mais à tout moment sa tempête de souffrance pouvait repartir.

Désormais, il faut se concentrer sur la suite de la prise en charge, réfléchir à la psychothérapie et aux médicaments que nous allons mettre en place pour soigner ce malade.

Si j’ai pu examiner plusieurs patients agités aux urgences, ce fut ma première confrontation à ce point précis de bascule, ce moment où l’esprit s’effondre sur lui-même, ou le corps sombre dans la souffrance, ce passage si marquant du calme à la tempête.

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