La légitimité

Au lendemain de la Saint-Sylvestre, à l’aube de cette nouvelle année 2019, me voici allongé sur mon canapé à faire un bilan sur l’année précédente. Une année riche de rencontres, de travail et d’accomplissement.

Je repense tout d’abord à la préparation du concours de l’internat, aux heures sacrifiées à étudier, apprendre et réapprendre ; à tout ce temps passé à lire, comprendre et décrypter le fonctionnement du corps humain.

Etre départagé par un concours sur trois jours et quinze dossiers. Sceller le destin de plus de 8000 étudiants en médecine sur la base de QCMs, et des listes souvent absurdes.
Désormais la sélection prendra une nouvelle forme, un « match-making » à la manière de post-bac. Espérons que ce nouveau système reste égalitaire.

Je songe ensuite à ces nuits d’été à longer le bord du Tage, à remonter les rues étroites de Lisbonne, à écouter le doux chant des cigales en compagnie de celle qui partage ma vie. Une trêve finalement méritée.

J’esquisse le portrait de mes amis, j’imagine leur sourire, les embrassades et accolades, les cocktails au bord de la piscine, les randonnées sur le littoral méditerranéen, le champagne au moment de la remise de diplômes.

Je revois cette scène devant mon écran d’ordinateur, le bourdonnement dans mes oreilles, le souffle court, la page internet qui s’ouvre « vous avez été affecté en psychiatrie à Paris ». Le cœur qui s’emballe et les cris de joie. Ce téléphone qui sonne, les félicitations, les larmes et le bonheur.

J’aperçois Paris, cette ville somptueuse, riche culturellement, bruyante mais pleine de vie. Les cartons qui s’entassent, les amis qui discutent et rient. Mon chat qui arpente son nouveau territoire.

Mais ce qui retient toute mon attention, qui cristallise ma pensée, c’est surtout ces deux derniers mois, le début de ma nouvelle vie, l’internat.

Après les formalités administratives, la présentation des équipes, la manipulation des logiciels de prescription, arrive le premier entretien : un avis aux urgences.
Supervisé par ma co-interne de 5ème semestre, me voici devant ce patient.
Je m’emmêle : des questions fermées, des hésitations, des oublis… Il me reste du chemin à parcourir.

Heureusement, entre les patients hospitalisés, les avis aux urgences, les liaisons, mes séniors m’enseignent une clinique fine, la « sémiologie de l’esprit ». Ils me conseillent des lectures, développent les cas, m’expliquent les prescriptions, m’accompagnent pendant mes entretiens.

L’équipe paramédicale est d’un grand réconfort également, elle me guide, me rassure et m’encourage. Nous connaissons tous cette fameuse question qui résout presque tous nos problèmes « Et d’habitude, que font les chefs ? »

Au fil des jours, au fil des semaines, mon autonomie grandit, le mot « confiance » apparait un matin dans le vocabulaire des médecins.

« Il y a un avis pour une attaque de panique aux urgences, tu en as déjà vu plusieurs avec nous, vas-y seul, tu sais gérer »

Seul…

Je repense à mon premier entretien, mon esprit se brouille.

« Ressaisis-toi »

C’est donc ça dont me parlait Maxime, interne de premier semestre, autours de cette bière – Le syndrome de l’imposture – j’en ressens tous les symptômes maintenant : le doute, l’angoisse et ce sentiment d’illégitimité.
Cette hésitation, tous les internes, tous les médecins, tous les soignants, l’ont connu. Cette maladie de l’incertitude, cette appréhension nous a tous habité un jour.

« Qu’est ce qui nous rend légitimes pour poser un diagnostic, pour décider d’une prise en charge ? Nos études ? Notre diplôme ? Notre blouse ? »

Et puis, je fonce, j’agis, je m’implique. Les symptômes, les maladies et leurs traitements défilent dans ma tête. Je déroule les tableaux cliniques, je suis mon instinct, je pioche dans mes connaissances, j’en extrais une supposition qui se transforme en certitude.
Je dépasse mes peurs et je rédige ma prescription. L’urgentiste semble satisfait, le patient rassuré.

Finalement cette première expérience n’est pas si catastrophique que ça.

En rediscutant avec ma séniore, elle me dira : « l’important c’est de connaitre ses limites, quand on ne sait pas, il faut passer la main ».

Etre jeune interne c’est équilibrer la balance entre la confiance en soi et l’excès de zèle. C’est découvrir l’hôpital, participer aux prises en charge, sans bruler les étapes.
Le remède contre ce syndrome de l’imposture c’est le travail, l’accompagnement et l’implication.

Ainsi « une des clefs de la confiance en soi est la préparation » selon Arthur Ashe, mais, il ne faut pas oublier non plus la réplique de Don Fernand dans le Cid de Pierre Corneille « Le trop de confiance attire le danger ».

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