La paranoïa

Réveillon.

Coincé entre votre cousin Bordelais start-up nation et votre oncle cinquantenaire, les discussions s’enchainent. Soudain, un débat éclate, les mots fusent.
Votre oncle soutenant les gilets jaunes explique que les médias nous manipulent, votre cousin l’interrompt : « Mais voyons, tu es vraiment parano mon vieux ».

Mais qu’est-ce la paranoïa ?

Kraepelin en 1899 décrit la paranoïa comme « un système délirant durable et impossible à ébranler et qui s’instaure avec une conservation absolue de la clarté, de l’ordre de la pensée, du vouloir et de l’action ».

En France, sans utiliser ce terme, Lasègue, Sérieux, Capgras et de Clérambault avaient déjà décrit de nombreux délires de ce type : le délire de persécution, d’interprétation et les délires passionnels.

Finalement, en 1927, Kretschmer décrit la personnalité pré-morbide dites sensitive.

Ainsi sous le terme paranoïa on retrouve de nombreuses définitions – d’une part la personnalité paranoïaque et les délires paranoïaques d’autre part.

Les troubles de la personnalité ?

Selon le DSM 5 « Un trouble de la personnalité est un mode durable des conduites et de l’expérience vécue qui dévie notablement de ce qui est attendu dans la culture de l’individu, est envahissant et rigide, apparaît au début de l’adolescence ou de l’âge adulte, stable dans le temps et qui est source d’une souffrance ou d’une altération du fonctionnement »

Ainsi, dans la littérature on retrouve de nombreuses descriptions de la personnalité paranoïaque.

Le « parano » est méfiant, soupçonneux, susceptible et rancunier. Il est peu empathique, souvent sur la défensive, mais il reste rationnel, sans implication affective ou émotionnelle, et son jugement est rigide, faussé par la surestimation de soi et le refus de toute critique.
En communauté, il se sent très vite menacé, trompé ou humilié, il réagit avec colère. Il se confie très peu de peur que cela ne lui nuise, il est très souvent jaloux et doute de ses proches.
Ce mode de fonctionnement entraîne de nombreuses difficultés relationnelles et des situations conflictuelles avec l’entourage.

Les délires paranoïaques ?

En France, on distingue trois types de délire paranoïaque – le délire d’interprétation, le délire passionnel et le délires de relation des sensitifs.

Le premier, le plus classique, a une construction chronique basé sur des interprétations erronées du malade, une idée de référence et un vécu centralisée (tout le concerne).
La thématique du délire est principalement celle de la persécution (on lui veut du mal), mais parfois il peut exister des délires mégalomaniaques ou mystique.Ce délire va progressivement s’étendre en réseaux, touchant tous les aspects de la vie du sujet.
Son évolution est ainsi ponctuée de moments particulièrement délirants et d’autre avec une symptomatologie d’allure plus dépressive .

Le second, s’organise autour d’une idée centrale, prévalente. Le délire va se développer en secteur (à l’inverse du précèdent), c’est-à-dire que le malade ne délire que dans le domaine de son désir. On distingue plusieurs sous-types : le délire de revendication, de jalousie et l’érotomanie. Dans tous les cas, le malade fait preuve de passion, d’exaltation, de tension interne et d’une variation importante de l’humeur.

Le dernier, s’articule souvent entre une personnalité sensitive – c’est-à-dire un caractère timide, hyperémotif, hypersensible, et un sentiment d’infériorité – et un stress environnemental.
Le début du délire correspond à une situation vécue comme un echec (comme une déception amoureuse). A partir de ce moment, le sujet développe un délire de persécution avec l’émergence d’idée de moqueries, d’humiliation de la part de son entourage.

Mais d’où viennent ces troubles ?

En psychopathologie, la psychanalyse via l’analyse du président Schreber de Freud rapporte la paranoïa a une lutte contre une dépendance ambivalente et angoissante à la mère dont le sujet n’a été enfant qu’un complément narcissique. Freud dira d’ailleurs « La paranoïa identifie la jouissance dans le lieu de l’Autre. ».

Freeman en 2014 décrit l’existence chez les paranoïaques de cognition anxieuse, d’une hyper-vigilance, une peur du rejet et de l’humiliation. Pour ce psychiatre, la paranoïa trouve son origine dans des expériences internes de stress et des troubles du jugement à type de « jumping to conclusion » sans explication alternative possible aux signaux perçus.
En 2016, il proposera même une modélisation neurocognitive de la paranoïa, définissant cinq types de processus :

  • L’inquiétude excessive
  • Faible niveau de confiance en soit
  • Intolérance à l’angoisse
  • Raisonnement biaisé
  • Des stratégies de recherche de sécurité

Le continuum entre personnalité paranoïaque et délire paranoïaque est source de nombreuse divergence. Ce trouble de la personnalité est-il un état pré-morbide ? Prédispose-t-il au délire ? A ce jour, le DSM-5 sépare ces deux entités nosologiques.

La paranoïa, est donc un trouble ancien, richement décrit sémiologiquement qui par son mode de fonctionnement continuera de passionner les psychiatres et les foules.

Bibliographie

  • Kraepelin – La folie systématisée
  • Kretschmer – Paranoïa et sensitivité
  • Lasègue – Etudes médicale
  • La revue du patricien 2005 – numéro 55
  • La revue du praticien 2016 – numéro 66
  • Anne-Helène Moncany – La paranoia : des aliénistes au DSM5
  • Nouveau précis de sémiologie psychique
  • Freeman D – Persecutory delusion : a cognitive perspective on understanding and treatment
  • Bergeret – Psychologie pathologique

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