Reprendre ses notes c’est trier ses pensées, démêler son esprit pour en extraire un fil conducteur, articuler ses réflexions. Relire le petit carnet noir, c’est découvrir un univers focalisé, ses derniers mois, sur la solitude, où les thèmes de l’isolement et de la rechute semblent s’y dégager. Aborder l’expérience de l’isolement au moment du « dé-confinement » me parait logique, car si la vie repart, il ne faut pas oublier.
Aristote écrivait : « l’homme est un animal social », ainsi, convient-il depuis toujours de punir le fautif, celui dont le crime commis dans l’enceinte de la cité rejaillit sur l’ensemble de la communauté engendrant honte et déshonneur, d’Exil. Ce Bannissement, cette mise à l’écart conduit à la « mort sociale » de l’individu. Ovide s’en inspire pour écrire l’Iliade, Hugo s’en nourri pour agrandir ses œuvres.
Mais quel impact a la solitude sur notre cerveau ?
En 1962, Michel Siffre, jeune spéléologue s’enfonce dans le gouffre de Scarasson à la frontière franco-italienne pour y passer 60 jours privés de tout repère temporel [1]. Le protocole est relativement simple le spéléologue appelle à chaque réveil, repas, coucher. Sans lumière ni contrainte sociale, il ne mange et dort uniquement quand il en ressent le besoin. Ainsi, lors de sa remontée, le 14 septembre, il se croit le 20 août : le temps qu’il a perçu s’est écoulé deux fois moins vite que dans la réalité. De cette expérience naitra la chronobiologie, discipline scientifique étudiant les rythmes biologiques, temporels et donc circadien.
Cette aventure, passionnante semblait incomplète, si Michel Siffre était coupé de repères, ses sens restaient à l’affut : il ressentait le froid, écoutait le bruit des gouttes des glaciers contre les parois. Ian Robbins psychologue britannique, lui, contournant l’interdiction du comité d’éthique, enferma et filma pendant deux jours six volontaires privés de leurs sens (plongée dans le noir, sans bruits avec des gants) [2]. Résultats : hallucinations visuelles, sensorielles et cénesthésiques avec de légers troubles cognitifs et difficultés de concentration passagère à la sortie, prouvant une nouvelle fois que nos sens sont indispensables et que l’esprit seul ne peut survivre.
Seul, comme le décrit si bien Sylvain Tesson dans « les forêts de Sibérie », le temps est à l’introspection, à cette réflexion active parfois si productive. Que se passe-t-il alors dans notre cerveau pendant un isolement prolongé ? Mars 500 un programme russe s’intéressant aux conditions d’un voyage aller-retour vers la planète rouge a organisé deux missions de 105 et 520 jours permettant d’étudier alors le retentissement psychologique d’un tel périple. Les études retrouvent principalement des troubles du sommeil, une diminution de l’efficience cognitive proportionnelle au temps passé coupé du monde, et des remaniement au niveau de la substance blanche, notre cerveau souffrirait comme nous de la solitude ! [3,4]
Et l’effet pandémie ?
Quelle incidence peut avoir un isolement « purement » social sur notre esprit ? Livia Tomova, neuroscientifique s’est particulièrement intéressé à ce sujet. Dans une première étude de 2020 [5], elle a ainsi recruté une quarantaine de volontaires et leur a demandé de se séparer de leurs smartphones, tablettes et ordinateurs, et de passer dix heures seuls dans une pièce ; les volontaire ressentait après coups un manque et « craving » pour les relations sociales semblant activer à l’IRM fonctionnelle des régions spécifique du mésencéphale. En 2021, elle a alors émis l’hypothèse que le manque d’interaction sociale active les même systèmes que ceux responsable des addictions [6], Somme-nous addict aux autres ? Probablement pas, mais ces interactions stimulent notre système de la récompense nous poussant à nous intégrer, une marque du caractère social de notre espèce. L’homme est non seulement un animal social, mais aussi un « animal sociable » comme le laissait entendre Montesquieu dans les Lettres Persanes. Profitez alors de la réouverture toute en continuant à respecter les mesures barrières, vous ferez du bien à votre cerveau.
Bibliographie
- [1] 60 jours sous Terre avec Michel Siffre — Les Baladeurs. Les Others n.d. https://www.lesothers.com/podcast/michel-siffre-speleologue-scarasson-1962-60-jours (accessed June 19, 2021).
- [2] Marmion J-F. Privation sensorielle et hallucinations. Sciences Humaines n.d. https://www.scienceshumaines.com/privation-sensorielle-et-hallucinations_fr_22094.html (accessed June 19, 2021).
- [3] Pagel JI, Choukèr A. Effects of isolation and confinement on humans-implications for manned space explorations. Journal of Applied Physiology 2016;120:1449–57. https://doi.org/10.1152/japplphysiol.00928.2015.
- [4] Brem C, Lutz J, Vollmar C, Feuerecker M, Strewe C, Nichiporuk I, et al. Changes of brain DTI in healthy human subjects after 520 days isolation and confinement on a simulated mission to Mars. Life Sci Space Res (Amst) 2020;24:83–90. https://doi.org/10.1016/j.lssr.2019.09.004.
- [5] Tomova L, Wang KL, Thompson T, Matthews GA, Takahashi A, Tye KM, et al. Acute social isolation evokes midbrain craving responses similar to hunger. Nat Neurosci 2020;23:1597–605. https://doi.org/10.1038/s41593-020-00742-z.
- [6] Tomova L, Tye K, Saxe R. The neuroscience of unmet social needs. Soc Neurosci 2021;16:221–31. https://doi.org/10.1080/17470919.2019.1694580.