Le jeu

La nouvelle série « Squid Game » s’ouvre avec une scène où hommes et femmes amassés devant des écrans diffusant une course hippique, hurlent tenant leurs paris en main. La série coréenne par une esthétique digne de Tarantino pose de nombreuses questions :  quelle place occupe le jeu dans notre société ? Quelle place occupe l’argent ? Qu’est-ce que le hasard et la chance ?

Depuis toujours, l’humanité joue. Des traces de jeux sont retrouvées dans l’ancienne Babylone, dans la Rome et la Grèce antique. Cependant la notion même de hasard n’existait alors pas et l’issue dépendait des Dieux. L’ordalie, cette épreuve divine pour déterminer la vérité occupe alors une place particulièrement importante dans la société. C’est avec saint Thomas d’Aquin que le hasard va acquérir ses lettres de Noblesse, le résultat du sort ne provient alors plus uniquement d’une influence spirituelle et du destin mais également du hasard.

« Jouer, c’est risquer de perdre ou de gagner une somme d’argent, ou quelque chose qu’on peut rapporter à cette commune mesure, sur un événement dépendant de l’industrie ou du hasard »

Diderot

Le jeux d’hasard et d’argent (JHA) repose donc sur trois piliers : le joueur mise (argent ou un objet de valeur), cette mise, une fois placée, ne peut être reprise, et l’issue du jeu repose sur le hasard [1].

Par son aspect « économique », le JHA a toujours suscité de chaotiques débats sociétaux opposant ceux qui prône la prohibition et ceux qui y voient de possible profits. Ainsi l’empereur Justinien, condamne sévèrement les joueurs de dés invoquant « l’exacerbation de la cupidité parmi les citoyens et donc la perte de la dimension sociale », alors que l’état français pendant la Régence fonde la Loterie Royale, taxant les joueurs [2].

Si l’humanité joue, activant ainsi son circuit de la récompense, elle le fait souvent pour apprendre, parfois pour ressentir mais surtout par plaisir. L’excès de plaisir, le plaisir unique, perturbant le fonctionnement engendre l’addiction, peut-on pour autant parler d’addiction aux jeux ?

Pascasius, le premier en 1561 dans « traité sur les jeux » fait appel à la médecine pour essayer de sortir le jeu excessif des questions de moralité et l’inscrire dans le champ du pathologique [3]. Le DSM III, l’introduit sous la forme de « nouvelle » pathologie psychiatrique en 1980, l’addictologie n’en étant qu’à ses débuts. Puis en 1999, la célèbre revue Science titrant « addiction is a brain disease, and it matter »[4], fait enfin rentrer l’addictologie dans le champ médical, la sortant de celui de la morale.  Il faudra cependant attendre 2001 pour que la même revue internationale s’intéresse aux addictions comportementales et réponde oui à « Behavioral addiction : do they exist ? » [5].

Depuis la recherche et l’intérêt clinique ont grandi, permettant par exemple de distinguer des sous-groupes de joueurs pathologiques : les joueurs « vulnérables émotionnellement », « antisociaux impulsifs », ou « conditionnés » [6]. Mais également différentes catégories de jeux selon les degrés d’habilités requises allant du jeu d’hasard pur (comme les courses hippiques) aux jeux « stratégiques » (comme le poker) [7].

A travers ses épreuves sanglantes, « Squid Game » nous rappelle que l’homo Sapiens est avant tout Homo Ludens [8], que le jeu fait partie de notre vie et lorsqu’il devient excès, il convient de le guérir.

Bibliographie

[1]  Livre Le jeu excessif – Comprendre et vaincre le gambling | Les Éditions de l’Homme n.d. http://www.editions-homme.fr/jeu-excessif/claude-boutin/livre/9782761915809 (accessed October 29, 2021).
[2]  Lavigne J-C. Les jeux d’argent. Revue d’ethique et de theologie morale 2010;n°262:7–35.
[3]  Joostens d’Eeklo P. Pascasius ou comment comprendre les addictions : Suivi du Traité sur le jeu (1561). Montréal: Presses de l’Université de Montréal; 2017.
[4]  Leshner AI. Addiction is a brain disease, and it matters. Science 1997;278:45–7. https://doi.org/10.1126/science.278.5335.45.
[5]  Holden C. “Behavioral” addictions: do they exist? Science 2001;294:980–2. https://doi.org/10.1126/science.294.5544.980.
[6]  Blaszczynski A, Nower L. A pathways model of problem and pathological gambling. Addiction 2002;97:487–99. https://doi.org/10.1046/j.1360-0443.2002.00015.x.
[7]  Bonnaire C. Jeux de hasard et d’argent chez le sujet adulte, quand la passion devient mortifère. Psychotropes 2015;Vol. 21:23–35.
[8]  Huizinga J. Homo ludens. S.l.: Gallimard; 1988.