Cheveux longs aux vents, ils observent les reflets orangés, projetés sur la mer par le soleil qui disparait à l’horizon. Mathieu s’empare d’un galet et le lance vers l’écume. « Et donc, Guillaume, le gars que je vais vous présenter, il pourrait faire la guitare rythmique. C’est un mec plutôt fiable ! » « Plutôt fiable ? » l’interrompt Benoit, « Enfin, tout le monde sait qu’il a passé plusieurs mois à Pierre-Janet ».
Pierre-Janet, ce lieu résonne en nous comme un avertissement : c’est là où l’on enferme les enfants turbulents disait Armelle la pionne du collège. Pierre-Janet, ce sont les pompiers qui vont chercher de force le vieux sans-abris qui hurle dans les escaliers de la Côte Morisse. Pierre-Janet, c’est la peur pour mon adolescent de 15 ans qui vient de passer le brevet, qui va rentrer en seconde, qui ne sait même pas qu’il fera médecine et encore moins psychiatrie. Pierre-Janet, c’est l’image du fou : dangereux, impulsif, imprévisible. Il ne peut pas connaître, on n’a jamais parlé maladie mentale à la maison ou à l’école : c’est tabou.
Pourtant, ces faux-préjugés portent un nom : la psychophobie. Elle se définit comme une forme de discrimination à l’encontre de personnes qui ont ou ont eu un trouble psychique. Comme le rappelle le Professeur Gaillard dans une interview donnée à France-Inter, les patients en psychiatrie ont une double peine « souffrir et être montré du doigt ». Alors non, les patients psychiatriques ne sont pas plus dangereux : 97 % des agressions ne sont pas commis par des malades souffrant de troubles psychiatriques [1]. Et « Norbert le schizophrène » du dernier dessin de Vie de Carabin ne viendra pas étrangler l’interne dans son sommeil, puisqu’il est lui-même victime de violence deux à trois fois plus souvent que la population générale [2].
Or, cette stigmatisation et cette discrimination liées à ces troubles retardent l’accès aux soins et perturbent sérieusement la vie quotidienne des personnes qui en souffrent. Une récente étude anglaise note ainsi que « Les personnes vivant avec des troubles psychiques disent souffrir davantage de cette stigmatisation que des symptômes mêmes de la maladie » [3]. La stigmatisation se construit sur nos représentations sociales et le désir qu’a notre cerveau de vouloir tout ranger dans des catégories. Ainsi, le patient de 88 ans qui arrive aux urgences ne peut pas souffrir d’une pathologie cardiaque et d’un trouble schizophrénique ; en médecine il faut rester uniciste : transférez-le sur le champ dans son secteur où il mourra d’un infarctus du myocarde, comme le relate si bien le Docteur Zagury dans son dernier ouvrage « Comment on massacre la psychiatrie française ».
Cette discrimination peut aussi venir de nous-même. S’il est souvent facile de conseiller à un ami de consulter, se rendre soi-même chez un professionnel de santé mentale est plus difficile – Est-ce faire un aveu de faiblesse ? – Non, c’est ce que l’on nomme l’auto-stigmatisation et que défini Stéphanie Park comme un sentiment de honte, de culpabilité, la peur d’être mis à l’écart et la perte de l’espoir d’une guérison [4].
« Et tu crois, il pourra jouer tout cachetonné qu’il est ? » ajoute l’un deux. « Toi, tu arrives bien à aligner ta ligne de basse malgré tous les pétards que tu t’enfile mon salaud », répond Mathieu. Rire général. Guillaume s’avance au loin, t-shirt Iron Maiden, Vans à carreau, longiligne, les bras couverts des stigmates d’une souffrance sans nom.
Comment combattre ce sentiment ? le site Psycom explique qu’il faut se confronter à d’autre point de vue, écoutez des témoignages, ouvrir son esprit aux autres et dénoncer les comportements stigmatisants.
Et si vous ne savez par où commencer visionnez la web-série Belge Normal qui déconstruit les idées reçues sur les troubles de la santé mentale ou écouter le podcast les Maux Bleus sur notre site.
La discussion s’enclenche comme les cassettes sur la mini-chaîne hifi Ricatech à pile de Benoit. Les cheveux s’agitent, chacun y va de son commentaire et de sa meilleure imitation d’air guitare. Guillaume nous raconte son histoire : les hommes en blanc, les pavillons, les règles et le jardin fleuri de l’hôpital psychiatrique. Et alors que Bloody Kisses de Type O négative prend la suite de Fade to Black de Metallica, il sort une plaquette sa poche et la tend vers nous : « C’est mon traitement contre les angoisses, vous voulez essayez ? ».
Futur addictologue vous avais-je dit.
Bibliographie :
[1] Dubreucq J-L, Joyal C, Millaud F. Risque de violence et troubles mentaux graves. Annales Médico-Psychologiques Revue Psychiatrique 2005;163:852–65. https://doi.org/10.1016/j.amp.2005.09.014.
[2] Hiday VA, Swartz MS, Swanson JW, Borum R, Wagner HR. Criminal victimization of persons with severe mental illness. Psychiatr Serv 1999;50:62–8. https://doi.org/10.1176/ps.50.1.62.
[3] Hamilton S, Pinfold V, Cotney J, Couperthwaite L, Matthews J, Barret K, et al. Qualitative analysis of mental health service users’ reported experiences of discrimination. Acta Psychiatr Scand 2016;134 Suppl 446:14–22. https://doi.org/10.1111/acps.12611.
[4] Park SG, Bennett ME, Couture SM, Blanchard JJ. Internalized stigma in schizophrenia: relations with dysfunctional attitudes, symptoms, and quality of life. Psychiatry Res 2013;205:43–7. https://doi.org/10.1016/j.psychres.2012.08.040.