L’adieu

Peu après le concours de l’internat, en juillet 2018, j’annonçais à ma famille et à mon entourage mon envie de devenir psychiatre. Les réactions furent différentes, souvent simples et spontanées, certaines apparurent naïves, d’autres plus complexes. Une en particulier m’émus, et me marque encore.

Nourrisson, j’avais grandi avec mon cousin, nous n’avions que quelques mois d’écart. Ma grand-mère, ancienne sage-femme, dans sa verve méditerranéenne, nous le rappelait souvent « vous avez quasiment partagé les mêmes couches ». Enfant, nous parcourions le jardin, enterrant des trésors, construisant des pièges, vivant d’innombrables aventures. Et puis la vie vous rattrape toujours, l’éloignement, les épreuves aussi, et nous prîmes des chemins d’apparences différents mais pour finir plus semblables que nous le pensions.

Dans ma campagne Normande, j’évoluais dans la bibliothèque paternelle, consacrant une grande partie de mon temps à lire, étudier ou à provoquer en duel mes compagnons épéistes de l’escrime. Le week-end, je prenais mon VTT je dévalais les pistes de la vallée, j’observais les différents bleus de la mer à Étretat, je rejoignais mes amis à la plage du Havre, nous fumions parfois en cachette. Bercé par les histoires carabines, les études de médecines semblaient être la suite logique pour se laisser transporter par le courant et s’inscrire dans le récit familial.

Lui, déambulait entre les blocs de bétons et les immeubles haussmanniens de la Capitale, crapahutant dans les médiathèques, les cinémas et les théâtres. Il aimait assembler, construire ; il raffolait des rencontres et des bières le soir le long des quais de Seine. Toujours un crayon derrière l’oreille, attentif au monde qui l’entourait il préféra remonter la rivière et s’élancer vers une carrière d’artiste.

Cet été-là, Il me tendit un petit paquet de papier Kraft. À l’intérieur le premier carnet noir, un moleskine : le carnet des écrivains. Que me valait cet honneur ? Selon lui, l’internat était une odyssée et tout bon voyageur devait avoir un carnet noir dans la poche arrière de son jean, d’ailleurs tout bon médecin et plus particulièrement psychiatre devait avoir un carnet dans sa blouse. Selon lui, j’allais voir, entendre et vivre des choses extraordinaires qui forgerait ma vision du monde et qu’il fallait écrire, laisser une trace de ces péripéties. Pourquoi ? « Pour soit d’abord » avait-il répondu « pour comprendre, décrypter sa pensée. Pour les autres peut-être, pour transmettre, commence par écrire et puis tu verras »

Il avait raison. Depuis cinq ans, un carnet noir en poche, je note puis j’analyse les pensées, les miennes mais aussi celle de mes patients, les remarques des uns et les reproches des autres. S’agit-il d’une forme d’auto-psychanalyse ? d’une thérapie par la narration ? ou simplement des gribouillis confus d’un interne en quête de sens ?

Au fil de mes stage, la représentation de mon métier a bien évolué, heurté à la réalité des soins et de la vie. Plus que jamais la psychiatrie me passionne et il me reste du chemin à parcourir pour terminer cette odyssée prophétisée par mon cousin, cependant l’écriture sur mon blog se rarifie. Le dernier article date de juillet 2022, non pas que le carnet noir soit abandonné mais le média se transforme. Je ne ressens plus ce besoin de partager mon quotidien sous forme de billet, reflet d’états d’âmes. Je veux m’ancrer dans le présent et c’est pourquoi je me suis orienté plus récemment vers une newsletter, un format qui je le crois laisse au lecteur le choix. Celui d’approfondir ou de survoler, celui d’être d’accord ou de s’opposer.

Cet article sera sans doute le dernier et pour continuer à suivre les aventures des petits carnets noirs, je vous conseille de consulter la page des newsletters, en attendant peut-être un jour une nouvelle métamorphose.

Bien à vous