La lettre

Cher étudiant, cher confrère, cher ami,

Après plusieurs mois enfermés avec tes manuels médicaux, rythmé par les questions à choix multiples, tu viens de passer les épreuves de l’internat. Après trois jours de concentration, d’insomnies, de réflexions intenses, ta vie ritualisée va prendre fin.

Si la réussite de ton premier concours, celui d’entrée, te garantissait de devenir médecin, celui-ci déterminera ta future spécialité. Mais, contrairement à la majorité de tes amis, incertains, dans l’attente de leurs résultats, indécis, toi, tu sais déjà – ou cette lettre te décidera – que tu deviendras psychiatre.

L’esprit, l’âme, la psyché t’ont toujours passionné. Petit, tu écoutais tes camarades, médiateur des bac-à-sable, tu réglais les conflits. Au lycée, tu citais des philosophes pour argumenter avec tes amis. Finalement, pendant l’externat, lors d’une garde aux urgences, ou au décours d’un stage en psychiatrie, cette idée a germé : « je deviendrai psychiatre ».

Tu as fait le bon choix, tu t’apprêtes à franchir les portes d’une discipline sans limite. Des sciences humaines à la recherche scientifique il n’y a qu’un pas. Mais comment s’y retrouver dans tout ça ? Prévoyant, tu organises déjà ton été.

Quelques romans trainent au fond de ton sac de voyage. Pour commencer : « dans la nuit de Bicêtre » de Marie Didier, véritable biographie de jean Baptiste Pussin, ami de Pinel et responsable des « fou » lors de la révolution française, suivi de la nouvelle « Morphine » de l’écrivain russe Mikhaïl Boulgakov sur le suicide et « avec les alcooliques anonymes » de Joseph Kessel.
Comme tu as déjà parcouru « La Guérison par l’esprit » de Stefan Zweig, tu as eu envie de découvrir Freud et tu as pu chiner chez un bouquiniste des quais de seine « psychopathologie de la vie quotidienne » et « cinq leçons sur la psychanalyse » que tu te réserves pour le train ou l’avion.

Le matin, tu te réveilles au son de France-Culture, l’émission sur l’histoire de la psychiatrie t’a tenu en haleine pendant cinquante-neuf minutes.

Le soir, affalé dans ton canapé, tu t’inspires de « Vol au-dessus d’un nid de coucou », « Take Shelter » ou « Augustine » pour essayer de comprendre ce moment étrange, ce basculement vers la folie. En sérivore, tu as ainsi prévu de bindge-watcher « Maniac » de Fukunaga puis d’enchaîner par quelque chose de plus cocorico comme « HP » sur OCS.

Le jour des choix, de ta main tremblante tu confirmes : psychiatrie. Te voilà soulagé, tu célèbres. Des larmes coulent le long de ta joue, c’est la joie. La fin d’un chapitre, l’externat et le début du suivant, l’internat. Tes proches t’offrent le roman graphique de Claire Le Mens « Le syndrome de l’imposteur », tu ressens toi aussi les premiers symptômes, alors tu fonces à la librairie afin de commander l’essentiel de l’interne en psychiatrie : « le nouveau précis de sémiologie des troubles psychiques » de Serge Tribolet et « le Manuel de psychiatrie » de Henri Ey.

Par moment, tu sens le besoin de te ressourcer : tu cherches l’apaisement, le réconfort, la spiritualité, tu te réfugies entre les « récits d’un pèlerin Russe »   et « le langage des oiseaux » de Farîd-Ud-Dîn’Attar. La poésie, la culture venue d’ailleurs te permettent de t’échapper. Tu as une des qualités fondamentales des jeunes psychiatres, l’ouverture d’esprit, l’ouverture aux autres, l’empathie que définit si bien Leslie Jamison dans son recueil d’essai « examen d’empathie ». 

Soudain, te voici le premier jour de stage, seul. Dans ta blouse se trouve ton carnet moleskine pour la prise de note avec sa petite pochette en papier pour y cacher quelques antisèches sur les traitements médicamenteux, ton stéthoscope, quelques stylos-bille et une règle à ECG. En partant de chez toi, tu as téléchargé sur ton smartphone toute application pouvant te servir : Docsémiopsy, 360 médic, fiches klepios.

Arrivé devant la porte, les mots du stratège chinois Guiguzi te reviennes en mémoire « La bouche est la porte du cœur. Le cœur est le maître de l’esprit. La volonté, les désirs, les pensées, les stratagèmes, tous entrent et sortent par elle », tu sais que tu écouteras tes patients, leurs histoires, tu soigneras par la parole.

Après un rapide tour du service, on te présente tes patients, tu te sens perdu mais tu prendras vite des habitudes, guidé par tes chefs. Autour d’un café, ton co-interne sortira de sa blouse son « sauve qui peut », un gris-gris qui se transmet d’interne à interne, de génération en génération : « Ordonnances en Psychiatrie et Pédopsychiatrie : 100 prescriptions courantes » petit recueil de traitement qui viendra compléter ton arsenal.

Le lendemain, tu passeras par la bibliothèque, ton chef t’a parlé de Shea et de son livre « la conduite de l’entretien psychiatrique », avide de connaissance, tu l’emprunteras.

La nuit, tu songeras une dernière fois à tout ce chemin parcouru, fier de toi, rassuré sur ton avenir, tu t’enfonceras progressivement dans le sommeil prêt à vivre de nouvelles aventures.  

Bien à toi,

Doctor Del

1 comment

Je propose de l’ajout en vrac.

regardez les contributions des personnes concernées via #choisirpsychiatrie.
bouffez des blogs, des vidéos, des livres, des articles de personnes qui vivent avec des troubles psys. Renseignez vous sur les pratiques orientées rétablissement, sur la pair-aidance en santé mentale…
Ne suivez pas les collègues qui se moquent des « patient’es »(nous) , nous nomment par un numéro de chambre, râlent parce qu’on toque à la porte de « la bulle », nous bourrent de médocs, pensent qu’on leur ment, nous mentent, ne pense pas à se former davantage au long de leur carrière, même pas un article valable…
Autant que possible, ne portez pas de blouse blanche.
Ça vous semble des évidences là tout de suite, maintenant, mais peut être que dans six mois il vous faudra vous en souvenir, c’est plus simple d’aller dans le même sens que les autres que de remettre en questions ses (leurs) pratiques.
J’espère réellement que vous vous plairez avec nous et qu’on se plaira avec vous. (ne prenez pas vos airs de médecin pour avoir l’air sérieux, restez naturels, ça passe toujours mieux)

Bien à vous

Lee ANTOINE

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